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À gauche: manifestation à Durban (Afrique du Sud) le 3 décembre 2011 pendant la COP17. (Flickr/Oxfam International) À droite: Femi Oke, journaliste, qui modère le panel « Voices from the Climate Front Lines » [voix des premières lignes du climat] au sommet du climat des Nations Unies à New-York le 23 septembre 2014.
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Writer's pictureCara Doumbe Kingue

Pourquoi combattre le réchauffement climatique nécessite aussi de combattre la misogynoir


 
 

Des États-Unis, où il a été démontré que les mères et les nourrissons noirs sont plus à risque d’avoir des problèmes de santé en raison du réchauffement de la planète, au Malawi, où le nombre d’enfants mariés augmente en parallèle avec les perturbations climatiques, en passant par le “caractère féminin de la pauvreté” dans les Caraïbes qui rend les femmes noires plus vulnérables face aux chocs climatiques : il existe d’innombrables exemples des effets disproportionnés du changement climatique sur les femmes noires à travers le monde. Cela s’explique par le fait que ce groupe démographique a la particularité de faire face au fardeau du sexisme combiné aux effets spécifiques du (néo)colonialisme et/ou du racisme ciblant à la fois les afro-descendants et les Africains.


Leur vulnérabilité conséquente est aggravée par des crises se consolidant à cause des inégalités sociales multifactorielles et structurelles. Malheureusement, le changement climatique n’est qu’un problème urgent, parmi tant d’autres, auquel notre monde est actuellement confronté. L’exploitation et le gaspillage excessif des ressources naturelles sur fond de capitalisme sans limites ont conduit à ce déséquilibre climatique. Mais qui « possède » (ou du moins vit sur) les terres de ces ressources ? Qui les extrait sur le terrain ? Qui transforme les matières premières dans les usines ? Qui est en première ligne lorsque des catastrophes liées au climat se produisent ? Ajoutez à cela l’instabilité des femmes dans la société car celles-ci ont moins accès à l’indépendance financière, à des soins appropriés et poss!dent moins de liberté de mouvement et de choix de vie, et vous avez les principales raisons pour lesquelles le changement climatique frappe les femmes noires le plus durement.


Comme l’a expliqué la journaliste américaine Gloria Oladipo, les femmes noires “« sauvent » les autres pour se sauver elles-mêmes”. Ainsi, à l’instar de leurs combats contre d’autres problématiques sociales, les femmes noires sont fortement investies dans la lutte contre le changement climatique, aussi bien en Occident que dans les pays du soi-disant tiers-monde. Cependant, malgré leurs contributions fondamentales qui sont directement inspirées de leur expérience unique avec le changement climatique, ces activistes ont tendance à être moins médiatisées et moins considérées. Jasmine Sanders, directrice générale de Our Climate, une organisation de défense des jeunes à Washington D.C., insiste sur le fait que « ce n’est pas que les personnes issues de la diverses n’ont jamais été là” mais plutôt qu’elles ont été “ignorées, utilisées et épuisées et/ou non reconnues”.



L’effacement médiatique par l’Associated Press (AP) de Vanessa Nakate, militante ougandaise qui lutte pour plus de justice climatique, constitue un exemple significatif de ce phénomène. En janvier 2020, elle a participé à une conférence de presse à Davos avec d’autres jeunes activistes pour le climat reconnus. Cependant, lorsque l’AP a couvert l’événement, ils ont illustré leur article avec une image tronquée qui ne mettait en évidence que les quatre activistes blancs à côté d’elle. Tandis que l’AP a rapidement produit une déclaration pour exprimer ses regrets, Vanessa était sceptique. Dans une interview avec le Guardian, elle a souligné qu’au lieu de dé-tronquer la photo en question après le tollé général, l’AP l’a simplement remplacé par une autre photo sur laquelle elle figurait au milieu, ce qui signifie qu’ils avaient fait le choix en premier lieu de sélectionner une photo l’effaçant. Malheureusement, bien au-delà de la controverse avec l’AP, Vanessa est bien moins exposée que ses homologues blancs.


Si les femmes noires ont certaines des clés pour faire face à cette crise, alors nous devons nous assurer qu’elles sont considérées correctement dans la société.

Ce phénomène n’est pas spécifique à la lutte contre le changement climatique et est la conséquence directe de la misogynoir, un terme développé par Moya Bailey, professeure à l’université Northwestern, qui définit les discriminations spécifiques auxquelles les femmes noires sont confrontées en raison des effets combinés du racisme et du sexisme (comme brièvement évoqué précédemment). Par conséquent, la compréhension, ainsi que le règlement de ses causes, peuvent contribuer à traiter en partie la question climatique. Si les femmes noires ont certaines des clés pour faire face à cette crise, alors nous devons nous assurer qu’elles sont considérées correctement dans la société. Comme l’a analysé la Dr Francena Turner, historienne à l’Université d’État de Fayetteville (une université publique historiquement noire en Caroline du Nord), nous pourrions définir trois mécanismes qui conduisent à l’effacement systématique des contributions des femmes noires :

  • Se concentrer sur les résultats et non pas également sur la construction des mouvements sociaux. Les mouvements sociaux ne sont pas seulement des manifestations visibles et des victoires remportées difficilement ; ils exigent d’innombrables heures d’organisation, de préparation et de réflexion. Ce « sale boulot » est historiquement réalisé par les femmes noires. Un exemple historique de ce processus, datant de l’époque du Mouvement des Droits Civils, est donné par la Dr Belinda Robnett, ancienne sociologue à l’Université de Californie (qui a également été en charge des questions de diversité, d’équité et d’inclusion dans cet établissement) : “Compte tenu du contexte de leur vie [celle des femmes noires], leur colère et leur humiliation ont servi de fondement non seulement à des actes spontanés de rébellion, mais aussi à leurs activités stratégiques et planifiées”. De même, ce que nous avons observé avec la crise conséquente au changement climatique c’est que les femmes africaines ont été parmi les premières à être alarmées par la situation et à prendre des mesures pour y mettre fin. Néanmoins, leur contribution est à peine mentionnée, notamment parce que c’est un “storytelling” moins populaire ; nous devons donc apprendre à reconnaître leur travail pionnier.

Le Dr Barnett a étudié en detail les femmes noires « oubliées » du mouvement des droits civiques, dont Georgia Gilmore, qui a participé au boycott des bus de Montgomery et qui, plus tard, a vendu des produits alimentaires pour financer la « Montgomery Improvement Association » [association pour l’amélioration de Montgomery], qui coordonnait l’opération. (Wikipedia Commons/The Montgomery Advisor)
  • Dévaloriser les contributions fondatrices en les considérant comme moins importantes. La Dr Bernice McNair Barnett, professeure à l’Université de l’Illinois (UIUC), a également analysé cette hiérarchisation des contributions dans le contexte du Mouvement des Droits Civiques et ceci peut être mis en parallèle avec le point précédent. En effet, si l’organisation, la planification, la collecte de fonds, l’éducation, parmi d’autres “sales boulots” qui sont principalement portés par les femmes noires sont systématiquement considérés comme moins vitaux que le fait d’être sous les projecteurs pour communiquer sur les combats, alors leurs contributions ne seront jamais considérées à leur juste valeur. Dans le cadre de l’activisme contre le changement climatique, cela explique pourquoi tant d’initiatives venant de femmes noires sont négligées. Malheureusement, ce processus prive l’humanité de connaissances ancestrales et d’idées potentiellement révolutionnaires.


  • Réduire chaque organisation ou mouvement social à un seul leader. Cette tendance est particulièrement visible dans l’espace médiatique : dès que les médias mentionnent la nouvelle vague d’activisme contre le changement climatique, ils se concentrent presque exclusivement sur Greta Thunberg. Sauf que personnifier ce mouvement, qui ne manque pas de porte-parole, simplifie bien trop son histoire et le rend excessivement occidentalo-centré. Les problématiques associées au changement climatique sont bien trop complexes et spécifiques à chaque région du monde pour que cette habitude médiatique inutile se perpétue. Alors comment pourrions-nous changer cela? Eh bien, par exemple, quand les médias rapportent que Greta parle de l’importance de l’agriculture durable, ils pourraient compléter la conversation en mettant en avant des actions concrètes sur le terrain comme celles de Lydie Kambou, une entrepreneure qui collabore avec les femmes issues du milieu rural en Côte d’Ivoire afin de produire du beurre de karité respectueux du climat et de leur permettre de gagner plus d’indépendance. En fait, comme l’a dit Wanjuhi Njoroge, militante kényane pour le climat qui a travaillé sur les pratiques agricoles durables, pour l’instant “les conversations se déroulent dans le confort, mais nous devons sortir”. Ainsi, nous ne pouvons pas uniquement médiatiser les prises de position des militants occidentaux, aussi pertinentes soient-elles, car elles n’encouragent pas suffisamment l’action. La réalité est que les pays Occidentaux ne subissent pas les pires conséquences du changement climatique (le pire restant à venir cependant) et qu’ils sont donc moins impliqués.

Mais bien au-delà de cette question d’effacement, nous devons aussi reconsidérer notre capacité à ressentir de la compassion et à agir en conséquence face à la souffrance des femmes noires. Même si les données montrent que ce groupe démographique est le plus touché par le changement climatique, aucun changement radical n’a été effectué pour les protéger. On pourrait alors s’attendre à ce que les mouvements qui luttent pour les droits des femmes noires, à savoir les mouvements antiracistes et féministes, priorisent cette question. Cependant, une étude de l’American Psychological Association a montré que les femmes noires sont justement ignorées par ces mouvements pro-justice sociale. Ces femmes se retrouvent coincées entre deux principaux biais de ces mouvements. D’une part, elles font face au manque de considération sexiste vis-à-vis de la souffrance des femmes dans la société, et ce, même si celles-ci sont plus susceptibles que les hommes de voir leur santé mentale se dégrader en raison des facteurs socioéconomiques qui sont affectés par le changement climatique. D’autre part, les femmes noires sont “moins considérées comme des femmes”, et ceci, combiné avec la déshumanisation historique des personnes noires, conduit à un traitement profondément inégal. Comme l’a si bien dit le professeur Stewart Coles, collègue du Dr Barrett au département de Communication de l’UIUC, « “l’invisibilité intersectionnelle” signifie que les mouvements censés aider les femmes noires contribuent à leur marginalisation ». Mais est-il acceptable que les femmes noires souffrent si les autres ne sont pas autant affectés qu’elles ?


Nous nous retrouvons finalement avec un constat : personne ne soutient ni n’écoute véritablement les femmes noires. Elles ont en même temps le « malheur » d’être des femmes et de ne pas assez l’être parce qu’elles sont noires. Ceci explique pourquoi elles sont souvent traitées comme des figures presque mythologiques pour leur investissement sans relâche dans les luttes sociales malgré le fardeau des multiples injustices auxquelles elles sont confrontées. Cependant, cette habitude contribue à leur déshumanisation. Les femmes noires ne sont pas des super-héroïnes. Elles méritent aussi d’être aidées et considérées.


Nous nous retrouvons finalement avec un constat: personne ne soutient ni n’écoute véritablement les femmes noires. Elles ont en même temps le « malheur » d’être des femmes et de ne pas assez l’être parce qu’elles sont noires.

Fondamentalement, la lutte contre le changement climatique ne consiste pas uniquement à démanteler le capitalisme, ou au moins les actions des oligarques et de leurs marchands de doute, mais aussi à faire en sorte que les femmes noires, le groupe le plus vulnérable face aux perturbations climatiques, puissent naviguer correctement dans ce monde. Que ce soit en tant que militantes ou en tant que “simples” citoyennes, elles devraient être en pleine possession de leurs droits et capables d’utiliser leurs voix pour le bien commun. Cette lutte, pour plus d’égalité et pour une meilleure issue suite au changement climatique, ne devrait pas être portée par les seules épaules des femmes noires, mais ne devrait jamais être appropriée (ni diminuée) par d’autres non plus. Loy Azalia et Ciara Mackey-Hall du Children’s Defense Fund, une association américaine de défense des enfants, ont parfaitement résumé ce concept : “Dans le même souffle où les femmes noires sont vénérées et honorées pour leurs efforts visant à réinventer et à créer un avenir meilleur pour leurs enfants, leurs familles et leurs communautés, elles sont aussi déshumanisées, minées et rejetées et, à bien des égards, décrites injustement comme des super-héroïnes. Les femmes noires ont lutté pour être considérées comme des êtres humains entiers qui vivent une multitude d’émotions, de sentiments, de hauts, de bas, de joies et de défis différents, et il est temps que leur humanité soit traitée comme telle, et qu’elles ne soient plus considérées comme invisibles”.


En vérité, écouter les femmes noires ne suffit plus. Il faut leur laisser prendre la place nécessaire afin qu’elles puissent développer leur plateforme, il faut financer leurs œuvres et leurs initiatives, il faut reconnaître mais aussi faire connaître leurs contributions, il faut apprendre à lutter avec elles pour contrer ce qu’elles subissent… en bref : être des alliés actifs pour elles, comme elles l’ont toujours été pour les autres partout où il y a des injustices.


 

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Cara Doumbe Kingue

Originaire de Lyon en France, Cara a obtenu une licence en biologie après avoir étudié deux ans à l’Université Catholique de Lyon puis un an à l’École Normale Supérieure de Lyon (ENSL). Elle est actuellement entrain de finir un master en biologie à l’ENSL et un autre en épistémologie et histoire des sciences à l’Université de Lorraine, se spécialisant en astrobiologie et en étude des extremophiles. Elle regarde des films pour avoir des nouvelles idées de recherche et, quand elle n’est pas au labo, elle écrit sur des sujets comme la santé mentale et la politique.

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